lundi 18 mars 2013

2003 – 2013 : Dix ans de guerre en Irak en deux documentaires


2003 – 2013 : Dix ans de guerre en Irak en deux documentaires
18/03/2013





Ville de Debis en Irak (Reuters/STRINGER Iraq)



La guerre d’Irak a 10 ans. Attaque de Bagdad, traque de Saddam Hussein, état du pays aujourd’hui : deux documentaires font le récit d’un chaos organisé.


Dix ans après le début d’un des conflits les plus injustifiés de notre ère, l’insensée guerre d’Irak, lancée par une coalition menée par les États-Unis sous des prétextes fallacieux, un documentaire fait le point sur ses prémisses en mars 2003, un autre sur l’état du pays en 2013.

Tonnerre roulant sur Bagdad de Jean-Pierre Krief retrace essentiellement, en deux parties, l’attaque de Bagdad, avant, pendant et après. Enquête très détaillée, fruit de quatre ans et demi de travail sur le terrain, tissée de témoignages d’Irakiens, d’Américains et d’une multitude d’images d’archives. S’il se concentre sur l’année 2003 et ne développe pas les événements dans toute l’Irak, ce film donne néanmoins un très bon aperçu de l’effet de cette guerre dans un pays qui ne tenait debout que grâce à l’implacable parti Baas, bras armé du dictateur Saddam Hussein. L’édifice s’est effondré comme un château de cartes dès l’arrivée de la coalition occidentale.

Un pays miné de l’intérieur

Le film de Krief montre clairement comment les États-Unis n’ont fait qu’une bouchée d’un pays miné de l’intérieur ; le long embargo en avait détruit l’économie et réduit les habitants à la misère. Dès lors, son armée, sous-équipée, ne pouvait faire face à l’armada américaine. On découvre d’ailleurs un édifiant document filmé, où des stratèges irakiens exhibent fièrement à Saddam Hussein les armes de destruction massives prévues pour que le peuple puisse résister à l’envahisseur : des lance-pierres, des clous et des arcs ! On est loin des armes chimiques prétextées pour envahir l’Irak (soit dit en passant, lors des préparatifs de leur armée dépenaillée, on constate que ce sont les Irakiens qui craignaient les attaques chimiques des Américains).

La prise de Bagdad en elle-même n’est pas passionnante car, comme on s’en souvient, elle ne rencontra aucune résistance, sauf à l’aéroport défendu par la garde républicaine du régime. L’essentiel des combats se déroula ailleurs dans le pays. On relate tout de même cette bataille de l’aéroport, et la destruction d’une imposante statue de Saddam avec l’aide de l’armée US, ainsi que certains détails étranges, comme la protection du ministère du Pétrole irakien par un char Abrams (américain) alors que le musée de Bagdad était livré au pillage sans que personne ne moufte.

Le rôle devastateur du gouverneur d’Irak, Paul Bremer
Mis à part le médusant témoignage d’un certain Eric Maddox – version réelle de Dan, le tortionnaire de Zero Dark Thirty –, inquiétant interrogateur de la DIA (Defense Intelligence Agency) qui narre comment il a fait craquer un garde du corps dévoué de Saddam, lequel l’a mis sur la piste du raïs tapi sous terre, le film de Krief a surtout le mérite de mettre en évidence le rôle dévastateur de Paul Bremer, gouverneur d’Irak de mai 2003 à juin 2004. Celui-ci, par une série de décrets, a irrémédiablement plongé le pays dans le chaos, notamment en prononçant la dissolution du parti Baas et de l’armée irakienne, ou la fermeture des usines d’État, mesures qui eurent comme effet de réduire au chômage et d’enrager des centaines de milliers d’Irakiens. S’ensuivit une litanie infernale d’attentats et une montée en puissance de la haine anti-yankee. La guerre a aussi eu pour effet de déchaîner les unes contre les autres des communautés jusque-là soudées tant bien que mal, notamment les Arabes chiites et sunnites, les Kurdes et les Turkmènes. Certes, les Kurdes, martyrisés par Saddam, ont plutôt bénéficié du conflit.

C’est du reste notable dans Irak, l’ombre de la guerre d’Anne Nivat, reporter de guerre aguerrie, qui sillonne l’Irak depuis 2003 et y retourne en 2013 pour faire le point. À Kirkouk, centre pétrolier, elle constate la mainmise des Kurdes sur l’or noir. Ils dominent la ville aux dépens des autres communautés, particulièrement les Turkmènes, ravalés au rang de caste inférieure, qui n’en mènent pas large. D’ailleurs personne, dans l’Irak de 2013 qu’Anne Nivat parcourt de long en large, en dépit de nombreux obstacles (certaines villes n’étant accessibles que grâce à des connivences locales), n’en mène “large”.

Et au fait, les Irakiens ?

“L’Irak est en phase postopératoire”, explique à la reporter un dominicain francophone, le père Youssif (occasion de découvrir la persistance inattendue d’une communauté chrétienne locale). Si nombreux craignent l’imminence d’une guerre civile, la vie quotidienne se réorganise timidement. Les commerçants en profitent, surtout les restaurateurs de Bagdad : en l’absence de distractions, leurs établissements restent les seuls havres de loisirs. Mais la précarité est omniprésente. Par exemple dans le milieu artistique de Bagdad, réduit à la portion congrue. Un prof d’arts plastiques explique que tous ses étudiants envisagent de s’exiler à l’étranger. Tout comme le jeune pharmacien sympathique, vivant près de la frontière irakienne, chez qui Anne Nivat séjourne.

Grâce au film de Jean-Pierre Krief, qui détaille le processus initial de la guerre, et à celui d’Anne Nivat, qui fait l’inventaire de ses conséquences, on peut raisonnablement conclure que la résurrection de l’Irak sera ardue, voire miraculeuse.

Vincent Ostria

Tonnerre roulant sur Bagdad (Bande annonce) de Jean-Pierre Krief. Mardi 19 mars, 20 h 50, Arte

Irak, l’ombre de la guerre d’Anne Nivat. Lundi 18 mars, 23 h 15, France 3

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