Par Gilles Munier
Depuis avril 2003, Tuz Khurmatu – à 175 km au nord de Bagdad - est le théâtre de tueries de masse continuelles à connotations religieuses ou ethniques. Al-Qaïda au Pays des deux fleuves classe ses habitants chiites parmi les mécréants et les suppôts de l’Iran, et les Kurdes les considèrent comme des gêneurs les empêchant d’annexer la ville et ses environs…
Comme son nom l’indique (1), Tuz Khurmatu est historiquement turkmène, c’est-à-dire peuplée de descendants des familles des guerriers musulmans recrutés par les califes abbassides et des tribus des Moutons noirs et des Moutons blancs (Qara Quyunlu et Aq Quyunlu) qui ont envahi et gouverné à Bagdad et à Mossoul au 15ème siècle. Rien à voir donc avec les Turcs Ottomans qui ont conquis la Turquie et englobé l’Irak dans leur empire, si ce n’est leurs origines mythiques communes en Asie centrale (2). Les Turkmènes d’Irak sont en fait de lointains parents des azéris de l’Azerbaïdjan actuel et de la région du même nom en Iran. Ils sont pour la plupart sunnites, mais dans certaines villes leur composante chiite l’emporte. C’est le cas à Tuz Khurmatu.
Sectarisme
Après la révolution baasiste de juillet 1968 et jusqu’en 1976, la langue et la culture turkmène étaient enseignées dans les régions où ils sont majoritaires. Mais en 1991, avec la mise en œuvre d’une politique d’arabisation forcée, les cours ont été supprimés et la presse en langue turque interdite. Des familles turkmènes et kurdes ont été déplacées dans le sud du pays et leurs terres données à des cultivateurs arabes. Puis est venu le temps de la répression : accusés d’appartenir au parti chiite interdit Al-Dawa, des opposants turkmènes ont été emprisonnés, fusillés. Des jeunes, réfugiés en Iran, se sont engagés dans la Brigade Badr formée sous l’égide de l’ayatollah Khomeiny. Cela explique pourquoi l’« Etat islamique en Irak » - groupement comprenant Al-Qaïda au Pays des deux fleuves - qui voit dans tout chiite un mécréants à tuer, fait sauter des Husseiniya (lieu de culte chiite) remplies de fidèles, placent des bombes dans des marchés, déciment des cérémonies de mariage et des cortèges funéraires. Et explique aussi pourquoi Ansar al-Sunna, sa concurrente islamiste locale composée de Kurdes et d’Arabes, fait de même. Résultat : devant l’incapacité du Premier ministre Nouri al-Maliki d’assurer la sécurité à Tuz Khurmatu, des habitants se sont engagés dans les Sahwa – milices créées par les Américains, en partie récupérées par le régime de Bagdad – et d’autres ont fait appel aux peshmergas pour les protéger. Moqtada Sadr est un des seuls à se préoccuper sérieusement de la situation à Tuz Khurmatu. Début décembre, il a préconisé la création de groupes d’auto-défense citoyens pour lutter contre le terrorisme. A sa demande, le Parlement irakien devrait porter la question à l’ordre du jour. Affaire à suivre…
Expansionnisme kurde
Massoud Barzani – président de la Région autonome du Kurdistan - ne demande pas mieux de protéger Tuz Khurmatu, car si ses troupes ont« libéré » la ville du régime bassiste en avril 2003 – pour ne pas dire occupé - c’était pour l’intégrer dans les frontières du Grand Kurdistan irakien ou, au pire, pour la rattacher à la région de Kirkouk qu’il revendique aussi. Il lui reste à réduire le nombre des Turkmènes qui y vivent. En effet, la présence de Kurdes à Tuz Khurmatu est récente. Ils ne s’y sont installés que dans les années 1970 pour fuir les combats opposant l’armée irakienne aux rebelles dirigés par son père Mustapha Barzani ou par Jalal Talabani(3) ! Comme si les attentats d’Al-Qaïda ne suffisaient pas, on soupçonne l’Asayish, le service secret kurde, d’en fomenter aussi pour terroriser un peu plus ses habitants et acheter à vil prix les terres de ceux qui s’en iraient(4). Quand on sait qu’elles sont gorgées de pétrole…
(1) Le nom de Tuz Khurmatu est formé de trois mots turkmènes signifiantSel-Dates-Mures (fruit du murier à soie).
(2) Lire : Les Turcomans, peuple oublié ou marginalisé, par Gilles Munier(mai 2007)
(3) A l’époque, les habitants de Tuz Khurmatu appelaient les réfugiés kurdes : les « jalali », en référence à Jalal Talabani, chef de l’UPK (Union patriotique du Kurdistan).
(4) En Syrie, on assiste au même cas de figure dans les villages turkmènes bordant la frontière avec la Turquie, au niveau de l’ancienne province d’Alexandrette (Hatay, pour les Turcs). L’Etat islamique en Irak et au Levant tente de contrôler la région en attaquant les brigades turkmènes sunnites, membres de l’Armée Syrienne libre (ASL), au nom de l’éradication du soufisme. Les Kurdes syriens du PYD, liés au PKK turc, font de même, avec un objectif plus conséquent. Là, ce n’est pas le pétrole qui est en jeu, mais la conquête d’un territoire qui donnerait un débouché sur la mer Méditerranée à la future région autonome kurde syrienne.
http://www.france-irak-actualite.com/article-irak-qui-tue-qui-a-tuz-khurmatu-121524418.html
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