vendredi 3 avril 2009

Affaires à haut risque à Bagdad

par Gilles Munier
(Afrique Asie – avril 2009)

Nicolas Sarkozy ne comprenait pas pourquoi les chefs d’entreprise français rechignaient à se rendre à Bagdad… Il y est allé en visite éclair, le 10 février, avec Bernard Kouchner et Hervé Morin, à bord d’un avion sécurisé, pour dire au président Jalal Talabani que la France était de retour et se proposait d’aider l’Irak à former et à équiper ses forces de police et de sécurité, et « aussi l'armée irakienne». Alors que Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, avait déclaré fin janvier que les troupes américaines allaient « connaître des jours difficiles », le président français demandait à Bernard Kouchner de profiter de « l’amélioration » de la situation sécuritaire pour organiser et diriger, en juin prochain, une mission commerciale.

L’Irak dans le rouge
Des chefs d’entreprise y participeront, ne serait-ce que parce qu’elles ont besoin de l’aide de l’Etat sur d’autres marchés. Mais, retourner ensuite à Bagdad finaliser d’éventuels contrats et participer à la reconstruction du pays, est une autre histoire. Il leur suffit de consulter… le site « Conseils aux voyageurs » du ministère des Affaires étrangères, pour avoir un autre éclairage de ce qui les attendrait alors. Le son de cloche est radicalement différent : les voyages en Irak sont « fortement » déconseillés. Le Quai d’Orsay demande d’emprunter un véhicule blindé, escorté de gardes armés, pour aller de l’aéroport à la Zone verte hyper protégée, de se tenir à l’écart des fenêtres ou derrière des rideaux pour éviter les éclats d’explosions. En cas de déplacements, il enjoint de rester à distance des convois militaires, car les soldats peuvent tirer à titre préventif, prenant n’importe qui pour d’éventuels attaquants.

Tous les sites spécialisés dans les « risques pays » situent tous l’Irak dans le rouge. Sur une échelle de 7, l’OCDE place l’Irak au niveau 6 pour les risques politiques, et au niveau C pour les risques commerciaux, le maximum. L’ONDD, agence belge de crédit à l’export, lui attribue le niveau 7 pour les risques de guerre, et Aon France, filiale d’un des leaders mondiaux de la gestion des risques, classe l’Irak dans les pays à risques « très élevés » et signale la difficulté de souscrire des polices d’assurance pour couvrir les risques encourus. La Coface, assureur-crédit français, ne sera d’aucun secours. Elle a annoncé un plan de crise pour 2009, et commencé par relever de 30% ses tarifs généraux, qui ne comprennent pas les surprimes réclamées pour un pays comme l’Irak. Pas bon pour les affaires. Si bien qu’encourager, aujourd’hui, un chef d’entreprise à aller en Irak – sauf s’il a une parfaite connaissance des rouages de l’économie irakienne et de ses pièges – tient de l’irresponsabilité, voir de non assistance à personne en danger.

Kouchner, mauvaise carte
Autre handicap pour les entreprises qui participeraient à la mission commerciale, à Bagdad, l’étoile des amis de Bernard Kouchner est sur le déclin. Le président Jalal Talabani, son principal soutien, a décidé de ne pas se représenter en 2010. A 75 ans, son état de santé est des plus préoccupant et il lui faut reprendre en main l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) qu’il dirige, en voie d’implosion. Reste le vice-président de la République, Adel Abdel Mahdi, membre du Conseil suprême islamique irakien, grand perdant aux dernières élections régionales en raison de ses liens étroits avec l’Iran. Donc, il n’est pas dit qu’il le demeurera. D’autant qu’on l’accuse par ailleurs de corruption, et notamment… de l’achat d’un vignoble dans le Bordelais ! En revanche, le départ probable de Kouchner du Quai d’Orsay serait plutôt positif. Nouri al-Maliki, Premier ministre, qui s’impose dans la perspective des élections législatives prévues pour la fin de l’année, n’a pas encore digéré qu’en août 2008, ce dernier ait demandé à Condoleezza Rice son remplacement par Adel Abdel Mahdi. Mieux vaudrait, pour les entreprises, que le voyage soit repoussé à des jours meilleurs.

Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo criminel et une occupation meurtrière qui n’en finit pas. Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur irakien. Mais, est-ce bien dans cet esprit qu’est organisé le retour des entreprises françaises en Irak ? Il ne faut pas confondre patriotisme économique et mercantilisme. Avec Bernard Kouchner, on sait maintenant qu’il faut craindre le pire.
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Entreprises françaises :
La sécurité ne sera pas au rendez-vous


Conditions de la reconstruction : le départ des troupes anglo-saxonnes du pays et l’élection d’un gouvernement vraiment représentatif du peuple irakien. On en est loin. La promesse de Barak Obama de se retirer totalement d’Irak n’étant qu’en partie tenue, l’amélioration de la sécurité pour les hommes d’affaires intéressés par le marché irakien, n’est pas au rendez-vous des entreprises françaises. De 15 000 à 50 000 Gi’s resteront en Irak pour une période indéterminée. Ils participeront, sous un autre nom, à des opérations militaires. Personne ne parle des 150 000 mercenaires en mission dits de sécurité, ni du nombre de bases qui seront maintenus. Le général Ray Odierno, commandant des troupes d’occupation, envisage d’en installer une près des champs pétroliers de Kirkouk, sous prétexte d’empêcher les Kurdes d’annexer la ville.

La Résistance qui avait réduit ses activités en janvier, les relance. Le bureau politique de Rafidain l’a fait savoir le 28 février avec son communiqué n°57. Cette organisation est connue pour ses nombreuses opérations, la plus célèbre étant l’assassinat, en décembre 2003, de Dale Stoffel, un proche de George Bush, officiellement marchand d’armes, mais accusé d’être le véritable chef de la CIA en Irak. Autre réaction : celle du Front islamique de la résistance irakienne (JAAMI), le 11 mars : Abdullah Hafiz, son porte-parole, a déclaré avoir suffisamment de munitions pour tenir dix ans et estimé entre 50 et 75 le nombre d’opérations militaires effectuées chaque mois par le front. Il a annoncé, pour bientôt, la mise en service d’un missile de 25kms de portée. Bonjour les dégâts.

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