Interview de Hassan Aydinli
Représentant du Front Turkmène Irakien en Europe
et Président du Comité de Défense des Droits des Turkmènes Irakiens
Propos recueillis par Gilles Munier, le 18 juin 2007
AFI-FLASH
France-Irak Actualité
Q : Pouvez-vous décrire la situation à Kirkouk aujourd'hui?
Hassan Aydinli : La situation aujourd’hui à Kirkouk est malheureusement mauvaise. Elle est instable voire même explosive.
Ce qui se passe à Kirkouk, ville irakienne imprégnée depuis plus de huit siècles par l’histoire et la culture turkmènes, est à l’image de ce qui se passe dans les autres villes et villages de Turkmeneli , la région turkmène au nord de l’Irak. La situation ne cesse de s’y détériorer depuis le 10 avril 2003, jour noir dans l’histoire de l’Irak et particulièrement noir dans celle des Turkmènes irakiens.
Ce jour-là, lendemain de la chute de Bagdad, les Américains ont récompensé les deux chefs féodaux kurdes – MM. Barzani et Talabani - pour le soutien que leur ont apporté les milices « peshmergas » pendant la guerre puis l’invasion du nord de l’Irak. Ils les ont autorisé à pénétrer avec les forces spéciales américaines dans la région turkmène et à occuper les villes et villages, à commencer par Kirkouk dont les réserves de pétrole et de gaz alimentent l’imaginaire des séparatistes kurdes depuis 1958.
La révolution du 14 juillet 1958 qui a renversé la monarchie en Irak et établi la république, a changé la constitution du pays. Elle a accordé des droits supplémentaires et des privilèges aux Kurdes irakiens. Elle les a nettement avantagés par rapport aux autres minorités en Irak, notamment par rapport aux Turkmènes. Elle a fait des Kurdes la « deuxième communauté principale » du pays tandis que les Turkmènes, troisième plus importante communauté d’Irak, ont continué d’être marginalisés et discriminés.
Ces droits et privilèges - contrairement aux attentes des nouveaux dirigeants du pays et de celles des auteurs de la nouvelle constitution – n’ont satisfaits que modérément les Kurdes. Ils n’ont suscité parmi eux ni sentiment d’appartenance ni de fidélité à l’Irak, sinon très brièvement. Les séparatistes kurdes dirigés par le chef féodal Mullah Mustafa Barzani - le père de Massoud Barzani, leur chef actuel - ont perçu la constitution de 1958 comme un signe de faiblesse du gouvernement. Cela les a encouragés à réclamer la création d’un Etat kurde indépendant dans le nord de l’Irak incorporant Kirkouk.
Q : Pourquoi revendiquer brusquement Kirkouk, alors qu’il n’en était pas particulièrement question avant ?
Hassan Aydinli: Un Etat kurde indépendant au nord de l’Irak sans les richesses pétrolières de Kirkouk n’est pas viable à long terme ni crédible. Depuis 1958, les dirigeants séparatistes kurdes veulent s’emparer des champs pétroliers, coûte que coûte. Pour eux, peu importe la légalité ou la légitimité des moyens qu’ils utilisent … Ils ont profité de toutes les occasions pour atteindre leur but, y compris en nuisant à l’intérêt national de l’Irak, ou aux intérêts légitimes des autres communautés du pays.
Pour commencer, ils se sont installés en grand nombre à Kirkouk et dans ses environs pour modifier la composition ethnique de la ville, historiquement turkmène. Ils ont tout fait pour la « kurdifier », afin de pouvoir la revendiquer un jour. Les Turkmènes qui se sont opposés à eux ont été assassinés. Il ne faut pas oublier le massacre d’un grand nombre de dirigeants politiques et d’intellectuels turkmènes à Kirkouk le 14 juillet 1959.
MM. Barzani et Talabani se sont alliés à des puissances étrangères. Ils ont collaboré avec l’Iran pendant la guerre Iran - Irak de 1980 à 1988. Ils se sont ensuite tournés vers les Anglo-américains de 1991 à nos jours. C’est ce qui leur a finalement permis de réaliser leur rêve. Le 10 avril 2003, les Américains leur ont livré Kirkouk et ses champs pétroliers. Depuis, ils en ont le contrôle, abusivement et sans partage!
Q : Que s’est-il passé ce jour-là ?
Hassan Aydinli: Les Kurdes ont pris possession de la région turkmène, de toutes ses villes et villages. Ils ont pris la direction de tous les pouvoirs locaux, politiques, administratifs, civils et militaires. Ils ont nommé un gouverneur kurde pour la province de Kirkouk, un maire kurde pour la municipalité de Kirkouk. Les Kurdes ont la majorité des sièges au Conseil provincial et au Conseil municipal. Le chef de la police et celui de la sécurité sont kurdes. A Kirkouk, les Kurdes sont directeurs généraux de douze départements administratifs sur treize. Le département de l’éducation est le seul attribué aux Turkmènes !
Avec l’aide et la bénédiction des Américains, les Kurdes ont aussitôt organisé et financé l’installation à Kirkouk - avant la fin de 2003 - de plus de 97 000 « électeurs » kurdes, venus tous du Kurdistan en préparation des élections à Kirkouk. C’est comme cela qu’ils ont obtenu la majorité des votes et des sièges à Kirkouk aux premières élections tenues en Irak après le changement de régime.
Les Kurdes prétendent que ces gens sont originaires de Kirkouk, qu’ils ont été expulsés par le régime baasiste… C’est un faux prétexte! En 2004 et 2005, ce sont plus de 600 000 adultes « électeurs » kurdes qu’ils ont amenés et installés à Kirkouk et dans ses environs dont un grand nombre d’entre eux ne sont même pas des kurdes irakiens mais des Kurdes de Syrie, de Turquie et d’Iran ! La composition ethnique de la ville et de la province a été modifiée dramatiquement. J’appelle cela de la « kurdification » à outrance. Ils sont en mesure d’avoir la majorité dans n’importe quelle élection ou référendum à venir !
Q : Les habitants légitimes de Kirkouk peuvent-ils résister ?
Hassan Aydinli: Les habitants de Kirkouk, notamment les Turkmènes et les Arabes, manifestent régulièrement leur mécontentement et leur désapprobation. Leurs élus aux conseils provincial et municipal aussi, mais hélas sans résultat. Ils boycottent même ces conseils depuis l’agression commise au gouvernorat - et par des gardes privés du gouverneur - lors de la visite de la commission spéciale chargée de « normaliser » la situation à Kirkouk contre MM. Ali Mehdi et Majid Izet, deux élus turkmènes qui s’opposaient fermement à la « kurdification » de la ville.
Les partis kurdes exploitent la faiblesse du gouvernement central à Bagdad, son manque d’autorité et son incapacité à contrôler les provinces et tout particulièrement celles dirigées par les Kurdes. A Kirkouk, ils abusent de leur pouvoir et discriminent ouvertement les Turkmènes dans tous les domaines. Des milliers de Kurdes recrutés dans d’autres provinces, notamment dans la Région autonome - fonctionnaires, professeurs, instituteurs, officiers, agents de police – ont été nommés à Kirkouk.
Lorsque le directeur général du département de l’éducation de Kirkouk - le seul directeur général turkmène à Kirkouk - a rejeté la nomination de certains candidats kurdes pour manque de qualification pour occuper des postes, il a reçu des lettres de menace de mort ! Il les a montré à la télévision. On voulait l’intimider, le faire revenir sur ses décisions. Il faut rappeler que son prédécesseur, un autre Turkmène, a été assassiné par des inconnus quelques mois après sa nomination, pour les mêmes raisons et par les mêmes gens. Ces assassins courent toujours…
Dernièrement, le ministre de l’Intérieur irakien a congédié plus de 1000 officiers de police qui avaient falsifié leur CV, menti sur leurs qualifications et sur leur expérience professionnelle. La majorité des faux policiers tricheurs étaient des Kurdes nommés à Kirkouk après l’occupation de l’Irak en 2003, et parmi eux : le chef de police de Kirkouk !
A Kirkouk encore, dernièrement, les conseils consultatifs turkmène et arabe ont réclamé la libération de plus de 300 Turkmènes et Arabes arrêtés arbitrairement par les Kurdes et détenus dans des prisons de la Région autonome, notamment à Erbil et Suleymaniya. Leurs familles sont sans nouvelles d’eux depuis des mois, voir des années pour certains.
La situation à Kirkouk est réellement instable. Elle peut exploser à tout moment. Le rapport Baker -Hamilton a bien mentionné la volonté dangereuse des Kurdes qui veulent imposer leur hégémonie à Kirkouk. Ils ont préconisé le report du référendum.
La vie est particulièrement difficile pour les Turkmènes du fait des discriminations, mais elle est par ailleurs semblable à celle des autres Irakiens : une misère savamment créée et entretenue par l’occupation, pas de sécurité, des services publiques inexistants ou sans moyens, pas ou peu d’électricité et d’eau potable… Pire encore : pas de liberté, pas de souveraineté… et, en dépit des résolutions des Nations unies : l’Irak continue d’être un pays en guerre et occupé.
Aujourd’hui, à Kirkouk, les explosions, les actions terroristes, les menaces et les assassinats sont toutes dirigés contre les Turkmènes. Tous les médecins turkmènes ont reçu des menaces. Les Turkmènes aisés ont fuit. Les hommes d’affaires turkmènes ont disparu. En moyenne, six Turkmènes sont assassinés chaque semaine.
Q : Quatre ans après l'invasion américaine, quelles sont exactement les forces en présence à Kirkouk?
Hassan Aydinli: Il y a d’abord les forces officielles, c'est-à-dire les forces d’occupation et leurs alliés peshmergas kurdes. Elles se répartissent ainsi :
- Forces U.S. : 15.000
- Gardes nationaux (armée) en majorité composés de Peshmerga : 20.000
- Police est majoritairement kurde (60%) : 10.000
- Peshmergas : 1.000
A côté de ces forces, il faut signaler la présence d’ONG qui travaillent sous la bannière humanitaire mais qui s’intéressent davantage à la collecte de renseignements et à la promotion du plan de kurdification de Kirkouk qu’à l’aide humanitaire. C’est le cas par exemple de l’ONG « Rouch » qui a ouvert un hôpital et un centre de protection de l’enfance à Kirkouk. Elle accorde des aides et des crédits pour attirer les pauvres. En fait, elle œuvre pour la division de l’Irak et la kurdification de la région. Ses responsables racontent à ceux qui sollicitent son aide que Kirkouk était une ville juive et qu’elle doit revenir aux Kurdes pour que justice soit faite !
Les partis turkmènes et arabes de Kirkouk, notamment le Front Turkmène et le Mouvement National Turkmène, sont actifs sur place. Mais, les Kurdes essayent de limiter leur influence en leur créant sans cesse des problèmes.
Q : Où en est le projet de référendum ?
Hassan Aydinli: Les Turkmènes de Kirkouk refusent le référendum. Ils ont annoncé qu’ils n’y participeraient pas. Ils considèrent que l’article 140 de la nouvelle constitution est illégal qu’il a été concocté par les partis kurdes avec l’aide des forces d’occupation. Cet article a été introduit à la dernière minute dans le texte de la nouvelle constitution. Il contient des termes et des expressions qui ne sont utilisés qu’entre pays en guerre, notamment les termes « d’autodétermination » et « territoires contestés ».
L’article prescrivant un référendum à Kirkouk a été rédigé dans l’improvisation. Ses auteurs ont fixé une date pour son exécution : le 31 décembre 2007. Comment, après cela, parler de constitution permanente ! C’est un cas unique dans les annales internationales des constitutions permanentes ! Et ce n’est pas tout : ils n’ont rien prévu pour ce qui se passera après le 31 décembre ! Que deviendront l’article 140 et la nouvelle constitution… soi-disant « permanente » ?
Le Front Turkmène Irakien refuse le référendum. Il rejette l’article 140. Mais, il surveille les travaux de la Commission – à majorité kurde - chargée d’en suivre l’application en y maintenant un de ses représentants.
Les autres partis turkmènes, notamment le Mouvement National Turkmène, rejettent tous l’article 140. Ils boycottent les travaux de la Commission et s’activent à Kirkouk, en Irak et à l’étranger pour dénoncer les ambitions hégémoniques kurdes au nord de l’Irak. Ils disent que l’objectif des dirigeants kurdes est de séparer le Kurdistan de l’Irak, une fois qu’ils auront mis la main sur Kirkouk et ses richesses.
Tous les partis turkmènes défendent l’idée que Kirkouk est une ville irakienne à caractère turkmène, que Kirkouk doit rester irakienne mais avec un statut particulier semblable à celui de la capitale Bagdad. Kirkouk ne doit faire partie d’aucune région, comme cela était d’ailleurs prévu dans la Constitution Provisoire.
Les Turkmènes ne sont pas les seuls à dénoncer les agissements des Kurdes à Kirkouk. Ils agissent de concert avec les Arabes.
Aujourd’hui, on peut dire que tous les partis politiques et mouvements turkmènes demandent l’annulation du référendum, ou son report. Le parti Turkmeneli propose que le référendum soit reporté pour une période de 8 ans, afin que la situation se normalise réellement et légalement à Kirkouk.
Q : Pouvez-vous décrire la situation à Kirkouk aujourd'hui?
Hassan Aydinli : La situation aujourd’hui à Kirkouk est malheureusement mauvaise. Elle est instable voire même explosive.
Ce qui se passe à Kirkouk, ville irakienne imprégnée depuis plus de huit siècles par l’histoire et la culture turkmènes, est à l’image de ce qui se passe dans les autres villes et villages de Turkmeneli , la région turkmène au nord de l’Irak. La situation ne cesse de s’y détériorer depuis le 10 avril 2003, jour noir dans l’histoire de l’Irak et particulièrement noir dans celle des Turkmènes irakiens.
Ce jour-là, lendemain de la chute de Bagdad, les Américains ont récompensé les deux chefs féodaux kurdes – MM. Barzani et Talabani - pour le soutien que leur ont apporté les milices « peshmergas » pendant la guerre puis l’invasion du nord de l’Irak. Ils les ont autorisé à pénétrer avec les forces spéciales américaines dans la région turkmène et à occuper les villes et villages, à commencer par Kirkouk dont les réserves de pétrole et de gaz alimentent l’imaginaire des séparatistes kurdes depuis 1958.
La révolution du 14 juillet 1958 qui a renversé la monarchie en Irak et établi la république, a changé la constitution du pays. Elle a accordé des droits supplémentaires et des privilèges aux Kurdes irakiens. Elle les a nettement avantagés par rapport aux autres minorités en Irak, notamment par rapport aux Turkmènes. Elle a fait des Kurdes la « deuxième communauté principale » du pays tandis que les Turkmènes, troisième plus importante communauté d’Irak, ont continué d’être marginalisés et discriminés.
Ces droits et privilèges - contrairement aux attentes des nouveaux dirigeants du pays et de celles des auteurs de la nouvelle constitution – n’ont satisfaits que modérément les Kurdes. Ils n’ont suscité parmi eux ni sentiment d’appartenance ni de fidélité à l’Irak, sinon très brièvement. Les séparatistes kurdes dirigés par le chef féodal Mullah Mustafa Barzani - le père de Massoud Barzani, leur chef actuel - ont perçu la constitution de 1958 comme un signe de faiblesse du gouvernement. Cela les a encouragés à réclamer la création d’un Etat kurde indépendant dans le nord de l’Irak incorporant Kirkouk.
Q : Pourquoi revendiquer brusquement Kirkouk, alors qu’il n’en était pas particulièrement question avant ?
Hassan Aydinli: Un Etat kurde indépendant au nord de l’Irak sans les richesses pétrolières de Kirkouk n’est pas viable à long terme ni crédible. Depuis 1958, les dirigeants séparatistes kurdes veulent s’emparer des champs pétroliers, coûte que coûte. Pour eux, peu importe la légalité ou la légitimité des moyens qu’ils utilisent … Ils ont profité de toutes les occasions pour atteindre leur but, y compris en nuisant à l’intérêt national de l’Irak, ou aux intérêts légitimes des autres communautés du pays.
Pour commencer, ils se sont installés en grand nombre à Kirkouk et dans ses environs pour modifier la composition ethnique de la ville, historiquement turkmène. Ils ont tout fait pour la « kurdifier », afin de pouvoir la revendiquer un jour. Les Turkmènes qui se sont opposés à eux ont été assassinés. Il ne faut pas oublier le massacre d’un grand nombre de dirigeants politiques et d’intellectuels turkmènes à Kirkouk le 14 juillet 1959.
MM. Barzani et Talabani se sont alliés à des puissances étrangères. Ils ont collaboré avec l’Iran pendant la guerre Iran - Irak de 1980 à 1988. Ils se sont ensuite tournés vers les Anglo-américains de 1991 à nos jours. C’est ce qui leur a finalement permis de réaliser leur rêve. Le 10 avril 2003, les Américains leur ont livré Kirkouk et ses champs pétroliers. Depuis, ils en ont le contrôle, abusivement et sans partage!
Q : Que s’est-il passé ce jour-là ?
Hassan Aydinli: Les Kurdes ont pris possession de la région turkmène, de toutes ses villes et villages. Ils ont pris la direction de tous les pouvoirs locaux, politiques, administratifs, civils et militaires. Ils ont nommé un gouverneur kurde pour la province de Kirkouk, un maire kurde pour la municipalité de Kirkouk. Les Kurdes ont la majorité des sièges au Conseil provincial et au Conseil municipal. Le chef de la police et celui de la sécurité sont kurdes. A Kirkouk, les Kurdes sont directeurs généraux de douze départements administratifs sur treize. Le département de l’éducation est le seul attribué aux Turkmènes !
Avec l’aide et la bénédiction des Américains, les Kurdes ont aussitôt organisé et financé l’installation à Kirkouk - avant la fin de 2003 - de plus de 97 000 « électeurs » kurdes, venus tous du Kurdistan en préparation des élections à Kirkouk. C’est comme cela qu’ils ont obtenu la majorité des votes et des sièges à Kirkouk aux premières élections tenues en Irak après le changement de régime.
Les Kurdes prétendent que ces gens sont originaires de Kirkouk, qu’ils ont été expulsés par le régime baasiste… C’est un faux prétexte! En 2004 et 2005, ce sont plus de 600 000 adultes « électeurs » kurdes qu’ils ont amenés et installés à Kirkouk et dans ses environs dont un grand nombre d’entre eux ne sont même pas des kurdes irakiens mais des Kurdes de Syrie, de Turquie et d’Iran ! La composition ethnique de la ville et de la province a été modifiée dramatiquement. J’appelle cela de la « kurdification » à outrance. Ils sont en mesure d’avoir la majorité dans n’importe quelle élection ou référendum à venir !
Q : Les habitants légitimes de Kirkouk peuvent-ils résister ?
Hassan Aydinli: Les habitants de Kirkouk, notamment les Turkmènes et les Arabes, manifestent régulièrement leur mécontentement et leur désapprobation. Leurs élus aux conseils provincial et municipal aussi, mais hélas sans résultat. Ils boycottent même ces conseils depuis l’agression commise au gouvernorat - et par des gardes privés du gouverneur - lors de la visite de la commission spéciale chargée de « normaliser » la situation à Kirkouk contre MM. Ali Mehdi et Majid Izet, deux élus turkmènes qui s’opposaient fermement à la « kurdification » de la ville.
Les partis kurdes exploitent la faiblesse du gouvernement central à Bagdad, son manque d’autorité et son incapacité à contrôler les provinces et tout particulièrement celles dirigées par les Kurdes. A Kirkouk, ils abusent de leur pouvoir et discriminent ouvertement les Turkmènes dans tous les domaines. Des milliers de Kurdes recrutés dans d’autres provinces, notamment dans la Région autonome - fonctionnaires, professeurs, instituteurs, officiers, agents de police – ont été nommés à Kirkouk.
Lorsque le directeur général du département de l’éducation de Kirkouk - le seul directeur général turkmène à Kirkouk - a rejeté la nomination de certains candidats kurdes pour manque de qualification pour occuper des postes, il a reçu des lettres de menace de mort ! Il les a montré à la télévision. On voulait l’intimider, le faire revenir sur ses décisions. Il faut rappeler que son prédécesseur, un autre Turkmène, a été assassiné par des inconnus quelques mois après sa nomination, pour les mêmes raisons et par les mêmes gens. Ces assassins courent toujours…
Dernièrement, le ministre de l’Intérieur irakien a congédié plus de 1000 officiers de police qui avaient falsifié leur CV, menti sur leurs qualifications et sur leur expérience professionnelle. La majorité des faux policiers tricheurs étaient des Kurdes nommés à Kirkouk après l’occupation de l’Irak en 2003, et parmi eux : le chef de police de Kirkouk !
A Kirkouk encore, dernièrement, les conseils consultatifs turkmène et arabe ont réclamé la libération de plus de 300 Turkmènes et Arabes arrêtés arbitrairement par les Kurdes et détenus dans des prisons de la Région autonome, notamment à Erbil et Suleymaniya. Leurs familles sont sans nouvelles d’eux depuis des mois, voir des années pour certains.
La situation à Kirkouk est réellement instable. Elle peut exploser à tout moment. Le rapport Baker -Hamilton a bien mentionné la volonté dangereuse des Kurdes qui veulent imposer leur hégémonie à Kirkouk. Ils ont préconisé le report du référendum.
La vie est particulièrement difficile pour les Turkmènes du fait des discriminations, mais elle est par ailleurs semblable à celle des autres Irakiens : une misère savamment créée et entretenue par l’occupation, pas de sécurité, des services publiques inexistants ou sans moyens, pas ou peu d’électricité et d’eau potable… Pire encore : pas de liberté, pas de souveraineté… et, en dépit des résolutions des Nations unies : l’Irak continue d’être un pays en guerre et occupé.
Aujourd’hui, à Kirkouk, les explosions, les actions terroristes, les menaces et les assassinats sont toutes dirigés contre les Turkmènes. Tous les médecins turkmènes ont reçu des menaces. Les Turkmènes aisés ont fuit. Les hommes d’affaires turkmènes ont disparu. En moyenne, six Turkmènes sont assassinés chaque semaine.
Q : Quatre ans après l'invasion américaine, quelles sont exactement les forces en présence à Kirkouk?
Hassan Aydinli: Il y a d’abord les forces officielles, c'est-à-dire les forces d’occupation et leurs alliés peshmergas kurdes. Elles se répartissent ainsi :
- Forces U.S. : 15.000
- Gardes nationaux (armée) en majorité composés de Peshmerga : 20.000
- Police est majoritairement kurde (60%) : 10.000
- Peshmergas : 1.000
A côté de ces forces, il faut signaler la présence d’ONG qui travaillent sous la bannière humanitaire mais qui s’intéressent davantage à la collecte de renseignements et à la promotion du plan de kurdification de Kirkouk qu’à l’aide humanitaire. C’est le cas par exemple de l’ONG « Rouch » qui a ouvert un hôpital et un centre de protection de l’enfance à Kirkouk. Elle accorde des aides et des crédits pour attirer les pauvres. En fait, elle œuvre pour la division de l’Irak et la kurdification de la région. Ses responsables racontent à ceux qui sollicitent son aide que Kirkouk était une ville juive et qu’elle doit revenir aux Kurdes pour que justice soit faite !
Les partis turkmènes et arabes de Kirkouk, notamment le Front Turkmène et le Mouvement National Turkmène, sont actifs sur place. Mais, les Kurdes essayent de limiter leur influence en leur créant sans cesse des problèmes.
Q : Où en est le projet de référendum ?
Hassan Aydinli: Les Turkmènes de Kirkouk refusent le référendum. Ils ont annoncé qu’ils n’y participeraient pas. Ils considèrent que l’article 140 de la nouvelle constitution est illégal qu’il a été concocté par les partis kurdes avec l’aide des forces d’occupation. Cet article a été introduit à la dernière minute dans le texte de la nouvelle constitution. Il contient des termes et des expressions qui ne sont utilisés qu’entre pays en guerre, notamment les termes « d’autodétermination » et « territoires contestés ».
L’article prescrivant un référendum à Kirkouk a été rédigé dans l’improvisation. Ses auteurs ont fixé une date pour son exécution : le 31 décembre 2007. Comment, après cela, parler de constitution permanente ! C’est un cas unique dans les annales internationales des constitutions permanentes ! Et ce n’est pas tout : ils n’ont rien prévu pour ce qui se passera après le 31 décembre ! Que deviendront l’article 140 et la nouvelle constitution… soi-disant « permanente » ?
Le Front Turkmène Irakien refuse le référendum. Il rejette l’article 140. Mais, il surveille les travaux de la Commission – à majorité kurde - chargée d’en suivre l’application en y maintenant un de ses représentants.
Les autres partis turkmènes, notamment le Mouvement National Turkmène, rejettent tous l’article 140. Ils boycottent les travaux de la Commission et s’activent à Kirkouk, en Irak et à l’étranger pour dénoncer les ambitions hégémoniques kurdes au nord de l’Irak. Ils disent que l’objectif des dirigeants kurdes est de séparer le Kurdistan de l’Irak, une fois qu’ils auront mis la main sur Kirkouk et ses richesses.
Tous les partis turkmènes défendent l’idée que Kirkouk est une ville irakienne à caractère turkmène, que Kirkouk doit rester irakienne mais avec un statut particulier semblable à celui de la capitale Bagdad. Kirkouk ne doit faire partie d’aucune région, comme cela était d’ailleurs prévu dans la Constitution Provisoire.
Les Turkmènes ne sont pas les seuls à dénoncer les agissements des Kurdes à Kirkouk. Ils agissent de concert avec les Arabes.
Aujourd’hui, on peut dire que tous les partis politiques et mouvements turkmènes demandent l’annulation du référendum, ou son report. Le parti Turkmeneli propose que le référendum soit reporté pour une période de 8 ans, afin que la situation se normalise réellement et légalement à Kirkouk.
Q : Que pensez-vous de l'idée de créer un "Etat de Kirkouk" dans le cadre d'un Irak fédéral? Quelles seraient ses frontières?
Hassan Aydinli: En principe les Turkmènes refusent l’idée de fédéralisme. Ils pensent que le fédéralisme, tel qu’il est proposé actuellement, est un prélude à la division du pays. C’est la raison pour laquelle les partis kurdes mettent la pression sur le gouvernement central à Bagdad pour le forcer à appliquer l’article 140 sans délai.
Les partis turkmènes demandent que Kirkouk devienne une région autonome dans ses frontières du 10 avril 2003, avant l’occupation de Kirkouk par les Kurdes.
D’autre part, les Turkmènes revendiquent les villes d’Altun Köprü, Kifri et Tuz Khurmatu, que le régime précédent a arrachées à la région de Kirkouk en 1975 et qu’il a annexées respectivement aux provinces d’Erbil, Diyala et Salaheddin. Depuis lors, les villes d’Altun Köprü et de Kifri ont été kurdifiées et les Arabes ont tenté d’arabiser la ville de Tuz Khurmatu. Ces trois villes sont toutes historiquement turkmènes.
L’Organisation Autonome des Turkmènes Irakiens (ITAO) pour sa part, propose un « Etat Fédéral Turkmeneli » avec Kirkuk comme capitale. Cet état inclurait toutes les régions turkmènes, de Tel Afar dans la province de Mossoul jusque Mendeli dans la province de Diyala, et qui comprendrait les enclaves turkmènes dans les villes de Mossoul et d’Erbil.
Q : Qui font ces propositions ?
Hassan Aydinli: L’ITAO (Iraqi Turkmen Autonomous Organization) et le Parti Turkmeneli.
Q : Qui dirigerait cet « Etat » et comment seraient réparties ses richesses?
Hassan Aydinli: D’après l’ITAO et le parti Turkmeneli, la ville de Kirkuk serait gouvernée par un Conseil composé de 30% de Turkmènes, 30% d’Arabes, 30% de Kurdes et de 10% d’Assyriens. Les partis turkmènes ont préparé un projet très détaillé pour régler cette question.
Q : Qu’en pensez-vous ?
Hassan Aydinli: Pour établir la paix et la concorde entre les différentes nationalités dans le nord de l’Irak il est indispensable de faire ce qui suit :
A- Les milices peshmergas qui occupent les villes principales des plaines du nord telles que Kirkuk, Mossoul et Khanaquin, doivent se retirer. Sans quoi il n’y aura pas de solution pacifique dans le nord de l’Irak.
B- Massoud Barzani dirige le nord de l’Irak avec ses milices peshmergas. Il y a imposé sa dictature. Il est nécessaire d’instaurer une véritable démocratie afin que les Kurdes démocrates puissent travailler ensemble avec les Turkmènes, les Arabes et les Chaldéo-Assyriens de manière à résoudre ensemble tous les problèmes ethniques, religieux, politiques et économiques de la région.
(Propos recueillis par Gilles Munier, le 18 juin 2007)
Photo: Zaman on line http://www.zaman.com.tr/webapp-tr/haber.do?haberno=483416
Suite du dossier « Main basse sur le pétrole irakien » dans le prochain numéro :
« Mission accomplie : nous avons le pétrole ! », par Xavière Jardez
Kirkouk : Hold-up à Baba Gurgur, par Gilles Munier
Site de l’ « European Turkmen Friendship Association »
http://turkmenfriendship.blogspot.com/
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