lundi 17 décembre 2007

Entretien avec le secrétaire général des Amitiés Franco-Irakiennes, Partie II

16.12.2007

Interview avec Gilles Munier, Partie 2


http://shyankar.blogs.courrierinternational.com/archive/2007/12/15/entretien-avec-le-secretaire-general-des-amities-franco-irak.html

Introduction à la suite de l'entretien : Voici donc la seconde et dernière partie de l'entretien avec Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés Franco Irakiennes.

Shyankar : En partant du principe qu'il n'y a ni ADM ni liens directs entre l'ancien dictateur et le terroriste islamiste, c'est donc qu'il y a d'autres enjeux dans cette guerre que la paix dans la région et dans le monde comme le déclarait Bush. Est-il aujourd'hui possible, au vu de tous les documents existants, d'affirmer que l'intervention fut mise en place pour accroître les bases US dans la régions et ainsi «gérer» la route du pétrole et la production de l'Irak ?

G.M : Pour l’establishment américain, les véritables enjeux sont la « sécurité » d’Israël et le pétrole, ou l’inverse. L’un ne va pas sans l’autre. Les Etats-Unis pensent aujourd’hui que leur suprématie au Proche-Orient passe par l’implantation de nouvelles bases. Quatre ou cinq sont prévues en Irak, une dans le nord du Liban. Mais comme la majorité des Arabes n’en veut pas - y compris les pro-iraniens - leur « gestion » des richesses pétrolières ne sera pas totalement assurée.
Quant à Israël, il joue bien son rôle : Theodor Herzl, un des pères fondateurs du sionisme, l’avait conçu comme un « rempart contre l’Asie », « la sentinelle avancée de la civilisation moderne contre la barbarie »…
La guerre d’Irak est la énième guerre pour le pétrole. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de contrôler physiquement le pétrole, mais sa commercialisation. Il y a 6 ans, alors que le pétrole était à 24 $ le baril, Abderrazak Al-Hachemi – ancien ambassadeur d’Irak en France – me disait : « Vous verrez, si les Américains occupent l’Irak, le prix du baril dépassera les 100 $. Les Etats-Unis tiendront l’Europe au collet ». Je croyais qu’il exagérait. Nous y sommes. Que se passera-t-il si le baril atteint les 150$ ? Au-delà de l’Europe, la Chine et l’Inde sont visées.

Shyankar : La guerre fait encore aujourd'hui beaucoup parler d'elle, surtout à l'approche des primaires US, mais aussi avec le durcissement du conflit avec l'Iran. On a vu dernièrement Mohamed El Baradei, « patron » de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique déclarer que « Je ne peux pas juger des intentions, mais à supposer quel'Iran ait l'intention de se doter de la bombe nucléaire, il lui faudra encore entre trois et huit années pour yarriver. Tous les services de renseignement s'accordent là-dessus. ». Il déclara aussi que : « L'Irak est un exemple criant du fait que, dans de nombreux cas, l'usage de la force exacerbe le problème au lieu de le résoudre. ». Le parallèle est donc assez frappant avec Hans Blix, chef de l'inspection de l'ONU, qui déclara lui aussi le 31 janvier 2003 que le régime irakien n'est pas lié au réseau terroriste d'Al-Qaïda et qui plus est, que le bilan qu'il a dressé devant le Conseil de sécurité « ne justifie pas le déclenchement d'une guerre ». On peut donc se demander si ces guerres ne sont pas « montées » de toutes pièces, malgré les preuves et l'opinion publique. Quel est votre point de vue sur la question ?

G. M : Oui, ces guerres sont montées de toutes pièces, rien ne les justifie moralement. Comme l’a fort bien dit Ken Livingston - maire travailliste de Londres - c’est l’interventionnisme occidental au Proche-Orient depuis la Première guerre mondiale qui est à l’origine du terrorisme, pas l’inverse. Quand le terrorisme s’essouffle, la CIA, le Mossad - ou d’autres - savent comment le relancer.

Shyankar : Dans les histoires qui font beaucoup de bruit il y a aussi Blackwater. Ces «mercenaires» sont évalués à 160 000 aujourd'hui. Pensez-vous que c'est une dérive et que ce n'est pas plutôt le rôle de l'armée? De même pensez-vous que l'impunité totale dont bénéficient ces privés n'est elle pas abusive ?

G.M : Le retour en force du mercenariat est pire qu’une dérive. Ceux qui les ont recrutés – Bush, Blair et Rumsfeld notamment - devraient être jugés pour cela par un tribunal international. Que font les Nations unies et les professionnels des droits de l’homme face à ce scandale international ? Pas grand-chose. Imaginez l’émotion et la colère qu’auraient suscité le recrutement de dizaines de milliers de mercenaires par la France pour faire la guerre en Algérie ou l’Urss en Afghanistan…

Shyankar : On voit bien aujourd'hui que de nombreux problèmes viennent d'un manque de compréhension du monde arabo-musulman, de sa culture, son histoire. Pensez vous que les Britanniques s'en sortent ou s'en sont mieux sortis que les Américains car leur connaissance de la culture est un peu plus grande et qu'un plus grand travail est fait pour mieux comprendre ce peuple ?

G.M : Les Britanniques ne s’en sont pas mieux sortis en Irak que les Américains. Ils vont quitter Bassora sur une défaite, la seconde en un siècle. Leur expérience du pays aurait dû leur dicter de ne pas participer à la guerre du Golfe. Il y a en Grande-Bretagne, comme aux Etats-Unis, de véritables spécialistes du monde arabe et de l’islam qui auraient pu les conseiller, mais ils ne sont pas écoutés. Quand on veut la guerre à tout prix, on s’adresse à des charlatans !

Shyankar : Enfin, pour terminer, comment voyez-vous aujourd'hui l'issue de cette occupation ? Malgré la « victoire » militaire annoncée par Bush pensez-vous qu'un retrait, ou au contraire un durcissement de la politique sera mis en oeuvre ?

G.M : L’issue de l’occupation d’un pays, c’est sa libération… Pour que le Parti Républicain puisse crier victoire en Irak, Bush parle de retrait et trafique les statistiques des victimes civiles. Il ne faut pas se faire d’illusion : à moins d’un séisme politique aux Etats-Unis, la guerre d’Irak n’est pas terminée. Le démocrate Bill Clinton a poursuivi sans état d’âme la politique de Bush père et ne reproche finalement à Bush fils que d’avoir attaqué l’Irak trop tôt. Il ne faut pas oublier que, sous sa présidence, l’embargo a tué plus d’un million d’enfants. Madeleine Albright, sa secrétaire d’Etat, a dit que c’était le « prix à payer » pour renverser Saddam Hussein. N’importe quel dirigeant politique d’un pays en mal avec les Etats-Unis faisant ce genre de déclaration serait aussitôt considéré comme « génocidaire ».

Pour la première partie de l'interview de Gilles Munier voir : http://gmunier.blogspot.com/2007/11/entretien-1re-partie.html

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