vendredi 28 mars 2008

IRAK: Que se passe-t-il à Bassora?


De mal empire

Thèmes : Irak Nouvel Ordre Mondial
jeudi 27 mars 2008

Comprendre ce que cherchent les Etats-unis ici comme ailleurs.
IRAK : Que se passe-t-il à Bassora ?


BLEITRACH Danielle


Il est malaisé de comprendre la situation irakienne tant les groupes rivaux et les forces paraissent émiettées. Après l’affrontement sunnites/chiites, voici que dans le sud, à Bassora, c’est l’affrontement du gouvernement chiite avec les milices chiites de Moqtar el Sadr. Le danger avec Bush c’est qu’il incite à sous-estimer la capacité de nuisance des Etats-Unis. Son gouvernement apparait comme celui d’un perpétuel échec. Bush paraît énoncer un ordre et il n’engendre que le chaos. Mais si telle était justement la victoire d’un système en crise profonde, en lutte contre son déclin et ne trouvant d’autre issue que dans les violences, les guerres, le chaos ?

Si instaurer « la démocratie en Irak » et par contagion dans tout le Moyen orient était le projet officiel de l’invasion, l’échec serait patent. Mais est-ce que les Etats-Unis, leurs dirigeants, quelqu’un comme Dick Cheney, ont jamais eu un tel projet ? Alors, si l’on jugeait de l’invasion sur ses véritables objectifs, que faudrait-il en penser ? Les véritables objectifs étant de s’approprier les richesses pétrolières et d’avoir dans le gouvernement irakien l’instrument essentiel de leur capacité, de plus en plus contestée par l’OPEP, d’imposer le paiement du pétrole en dollars. Alors on ne parlerait plus d’échec. On constaterait que de tels objectifs dans la conquête d’un pays ne peuvent être atteints qu’en empêchant systématiquement l’instauration d’un ordre quelconque. Pour cela il faut encourager les luttes de factions autour des miettes du pillage jetées de la table des vainqueurs, transformer le pays en terrain clos de toutes les guerres civiles sur des bases ethniques, religieuses, et faire régner l’insécurité et le meurtre.

Il y a un autre risque d’ordre qu’il faut également contrôler et casser impérativement, celui des marges. Celles-ci peuvent s’unifier, leurs peuples peuvent développer une vision nationale et vouloir s’implanter dans le dit chaos : les Kurdes au nord, l’Iran au sud.
Chaque fois que la situation risque d’aboutir au scénario de la pacification, les violences doivent reprendre et les terroristes, paramilitaires financés par la CIA, doivent provoquer violences et désordres.

Si les Etats-Unis apparaissent de plus en plus comme l’Etat terroriste par excellence, c’est que leur unilatéralisme, leur volonté de ne jamais tolérer de puissance conquérante, tant au plan mondial que local, passe par l’entretien systématique de ce terrorisme. La guerre civile fait partie du scenario de leur domination, non seulement comme mode de gestion interne du pays conquis mais pour empêcher que les marges deviennent trop conquérantes. Le modèle irakien est devenu d’ailleurs une méthode que les Etats-Unis souhaitent exporter sur d’autres continents (1).

C’est un grand classique de toutes les conquêtes : diviser pour régner. Déjà Machiavel donnait ce conseil aux conquérants : « Il en va donc ainsi qu’aussitôt qu’un étranger puissant entre en une province, tous ceux qui y sont faibles se joignent à lui, poussés par l’envie qu’ils ont contre celui qui leur a fait subir sa puissance, si bien qu’au regard des petits, il n’a point de peine à les gagner, car aussitôt ils s’unissent tous et font bloc avec l’Etat qu’il a conquis dans le pays. Il a seulement à penser qu’ils ne s’acquièrent trop grande puissance et autorité, et peut facilement tant par ses forces que par leur faveur, abaisser ceux qui sont puissants pour demeurer seul arbitre dans le pays. Qui ne suivra bien ce point, il perdra bientôt ce qu’il aura gagné, et pendant le temps qu’il le tiendra, il y aura mille difficultés et tracas. » (2)

Voici effectivement le spectacle qu’offre l’Irak sous protectorat nord-américain
« Cinq ans après, Bagdad est méconnaissable. Les quartiers sont séparés par des murs, par suite du déchaînement des violences interconfessionnelles, qui font rage surtout depuis l’attentat qui a frappé, en février 2006, l’un des principaux sanctuaires chiites à Samarra, la mosquée d’Or.
Quant au nombre des victimes, la confusion règne : plus de 1 million de morts selon des organisations non gouvernementales, moins de 150 000 selon le gouvernement irakien. A cela s’ajoute une hécatombe de journalistes sans précédent, qui a fait au moins 233 victimes. Sans parler des réfugiés dans les pays voisins et des déplacés à l’intérieur même du pays, dont le nombre se situe entre 3 millions et 4 millions, véritable marque d’infamie à la fois pour les libérateurs et pour ceux qui ont été libérés. » (3)

Voilà pour le coeur même du pays. Mais il faut voir également que le chaos est organisé aux marges et on ne comprend rien à la manière dont les Etats-Unis ont toléré voir encouragé l’expédition militaire Turque contre les Kurdes si l’on ne mesure pas que l’unité kurde elle-même doit être mise à mal selon la logique étasunienne. Les kurdes ont été apparemment les grands bénéficiaires de la guerre. Ils ont consolidé leur pouvoir régional, obtenu un état fédéral dont ils sont en fait le centre de gravité puisque tous les autres sont si divisés qu’ils sont en situation d’imposer leurs volontés y compris en matière de distribution de la manne pétrolière. Oui mais voilà, leur appétit est peu à peu apparu sans limite et leur prise de contrôle de la zone pétrolière de Kirkuk a été le signe pour le conquérant nord-américain qu’ils devaient être rabaissés. Les Turcs ont été lâchés pour bien manifester que les Etats-Unis ne seraient pas toujours à leurs côtés et que, s’ils ne bornaient pas leur puissance, on saurait les dévaster.
La stratégie des Etats-Unis n’a pas d’allié, simplement des intérêts variables au jour le jour et chacun doit l’apprendre à ses dépens.

C’est dans ce contexte-là qu’il faut comprendre les événements de Bassora
Bassora c’est la ville chiite rebelle - tant sur le plan de son histoire la plus lointaine (4) que sous Saddam Hussein. Ce fut la ville communiste. A ce titre, et pas seulement parce qu’elle était chiite, elle a subi la répression de Saddam Hussein. Derrière la confession chiite, il y a le monde ouvrier du port et du pétrole, son syndicalisme. Ce sont les britanniques qui ont géré l’occupation en entretenant les divisions, en s’appuyant sur les luttes confessionnelles pour empêcher l’unification nationale. La ville est prise à la gorge par les partis islamistes qui s’opposent sur tout sauf sur le désir de se partager richesses et revenus pétroliers.

Jusqu’à ces derniers jours, les combats opposaient principalement les milices de Moqtar al-Sadr et celles du Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak (CSRII) et du Dawa. Les premières, rassemblées dans une structure très lâche, l’Armée du Mehdi, comptent environ 60 000 hommes et sont largement plus combatives que les groupes du CSRII et du Dawa. D’où une stabilité précaire, tributaire de la volonté de ces partis dont l’un ou l’autre pourrait, à tout moment, vouloir augmenter sa part du gâteau. Mais c’est la seule manière qui a été trouvée pour empêcher l’unification nationale et l’influence de Téhéran sur cette zone par laquelle passent 80% des ressources pétrolières actuelles.

Si l’on n’admet pas que la stratégie des Etats-Unis a effectivement besoin d’un chaos généralisé, on ne comprend pas le pourquoi d’une guerre civile à Bassora, où l’on compterait jusqu’à 40 morts et 200 blessés en deux jours. Les Universités sont fermées et il y a des risques de pénurie pétrolière. Pourquoi, à la veille des élections présidentielles étasuniennes, alors que les dirigeants actuels des Etats-Unis et Mac Cain se félicitaient de l’accalmie, ont-ils pris le risque d’un tel affrontement qui risque de renchérir sur le prix du pétrole et de s’étendre à tout l’Irak ? Dans le même temps se sont déclenchés des affrontements meurtriers dans plusieurs banlieues de Bagdad, dont Sadr City pour empêcher que l’étau se referme sur Bassora.

Pourquoi, aux rivalités habituelles pour la mainmise sur Bassora, prendre dans cette période le risque d’un embrasement ? Car la nouveauté de la période c’est qu’un nouveau seuil a été franchi puisque jusqu’ici la bataille opposait entre eux deux milices chiites, et désormais c’est l’armée officielle irakienne qui s’en mêle. Cette fois, ce sont les forces de sécurité irakiennes qui affrontent directement l’Armée du Mehdi. C’est même la première fois que celles-ci sont engagées dans une aussi vaste opération, baptisée « la charge du chevalier ».
C’est donc un test de la première importance pour le gouvernement de Nouri al-Maliki, qui appartient lui-même au Dawa. Si les armées américaine et britannique - les troupes anglaises ont évacué Bassora à la mi-décembre -, n’interviennent pas directement, elles apportent un soutien logistique aux troupes irakiennes. « « Il y a un an, les forces de sécurité irakiennes auraient eu du mal à engager cette action […] et le gouvernement à la mettre sur pied » », s’est félicité à Bagdad le général Kevin Bergner, porte-parole de l’armée américaine.

En fait nous sommes dans le cas de figure que l’on retrouve à peu près partout, l’armée nord-américaine fournit logistique, encadrement et teste la capacité de l’armée irakienne à mener la guerre civile. On a déjà connu cela au Vietnam quand l’armée nord-américaine prétendait se retirer.

Ce qui confirme cette stratégie du chaos et de la guerre civile est que Moqtar el Sadr avait choisi la pacification et la trêve, chose qu’il fallait empêcher à tout prix. Tous les partis chiites sont plus ou moins liés à l’Iran mais Moqtar el Sadr l’est plus que d’autres et donc l’attaque qu’il subit a probablement un lien avec la partie entre les Etats-Unis et l’Iran. Les Etats-Unis ont du mal à obtenir le feu vert du Conseil de Sécurité contre l’Iran, et avec les hostilités déclenchées contre la Chine, les rapports tendus avec la Russie, ils ont réfréné leurs ambitions. Il leur reste à provoquer le conflit entre Irak et Iran, attiser une crise permanente pour laisser couver la braise (5).

C’est en partant de la nature de la crise, de la nécessité de la faire payer au reste de la planète, de continuer à s’approprier à n’importe quel prix les ressources énergétiques et minérales que l’on peut comprendre la stratégie des Etats-Unis, et pas en inventant qu’ils veulent instaurer naïvement paix et démocratie et qu’ils n’y arrivent pas. Et quand on observe ce que cherchent réellement les candidats à l’élection présidentielle étasunienne, en particulier Mac Cain (6), mais aussi la majorité du camp Démocrate, on se dit que cela a peu de chances de s’arrêter avec le départ de Bush.

Danielle Bleitrach
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(1) Les Etats-Unis cherchent à développer partout ce qu’ils ont accompli face à l’ex-URSS, un type de désagrégation des marges, un dynamitage interne comme dans l’ex-Yougoslavie. Les récents événements tant en Amérique latine avec la Colombie dans le rôle d’Israël, mais aussi au Tibet pour la Chine montrent la permanence du scénario et la manière dont ce scénario a besoin de terroristes, de paramilitaires y compris chez les « alliés » eux-mêmes chargés de véhiculer le désordre à l’intérieur de toutes les tentatives d’unités nationales ou de constitution de blocs régionaux capables de résister.

(2) Machiavel, le prince, oeuvres complètes, La Pléiade, p.295

(3) Le quotidien panarabe Al-Hayat cité par Courrier International au début mars 2008 ne voyait dans les 5 années de guerre et d’occupation étasunienne que Téhéran comme vainqueur.

(4) Au titre des curiosités de cette ville rebelle, il faut noter que de 869 à 883, Bassora a été le siège du Spartakus du Moyen Orient, des esclaves noirs de l’Empire Arabe, rassemblés par Ibn Mohamed, luttent victorieusement contre leurs oppresseurs. Ils s’emparent de la ville de Bassora (Basra), dans le Golfe Persique (Irak actuel) en 871. Ces esclaves y fondent un état communiste. Avec l’aide d’ouvriers et de pâtres, ils étendent leur pouvoir sur un large secteur de la Mésopotamie (Irak). Mais, ils sont finalement écrasés par les armées arabes unies. Sans vouloir en faire dire plus à l’histoire qu’elle ne dit, il faut souligner le fait que le choix chiite est aussi celui du refus du pouvoir, de la domination du califat, est-ce un hasard si le parti communiste irakien un des plus puissants de tout le Moyen orient s’implante en priorité dans les zones chiites.

(5) On remarquera que partout les Etats-Unis semblent avoir à coeur de laisser ces zones de conflits potentiels non résolus où sans intervenir directement, ils peuvent à chaque moment déclencher une situation favorisant une intervention militaire directe ou indirecte.

(6) Intervenant mercredi au Conseil des relations internationales à Los Angeles (Californie), John McCain, a qualifié la Russie de pays revanchard et a appelé à l’exclure du G8, rapporte le correspondant de RIA Novosti sur place. Insistant sur la nécessité de « faire face aux dangers émanant de la Russie revancharde », le candidat républicain a déclaré qu’il fallait modifier la composition du G8. « Nous devons commencer par garantir que le G8 - le groupe des pays les plus industrialisés du monde - redevienne le club des principales démocraties de marché, qu’il comprenne le Brésil et l’Inde, mais exclue la Russie », a-t-il poursuivi. Le candidat républicain à la présidence américaine a aussi exhorté à renforcer la solidarité au sein de l’Alliance de l’Atlantique Nord en réponse au comportement de la Russie.

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